Freelances et startups : l’amour fou ?10 minutes de lecture

Nous nous penchons aujourd’hui sur la relation freelances-startups. Esprit d’initiative, jeunesse, dynamisme, polyvalence, innovation : beaucoup de critères les réunissent. Mais les freelances peuvent aussi avoir intérêt à rester prudents face aux demandes d’investissement poussé des startups.

Faire partie de la famille

Quand Chloé crée son statut d’auto-entrepreneur il y a 5 ans, après un CDI d’un an, la jeune femme travaille d’abord avec quelques grosses entreprises, dans les services “réseaux sociaux”. Mais son “jeune” âge et parfois même, le fait qu’elle soit une femme, font qu’elle n’est pas toujours entendue voir, prise au sérieux.

“J’ai bossé dans des grands groupes où le directeur marketing avait 50 ans. J’étais une fille de 25 ans, donc j’avais forcément tort à ses yeux. Je travaillais avec des cadres persuadés de connaître les réseaux sociaux, j’étais triste parce que personne ne me comprenait et on me disait souvent non” Chloé

Peu à peu, cette social media manager finit par se tourner vers les startups, un environnement où elle se sent plus entendue : “D’expérience en expérience, je me suis rendue compte que là où j’arrive le plus à m’exprimer, c’est dans les startups. J’ai souvent le même âge que le patron, donc ça casse cette barrière, et on arrive à se parler.”

Ce qu’apprécie tout particulièrement Chloé, c’est la volonté d’inclusion des startups : “L’avantage des startups, c’est que je fais partie de l’équipe, j’ai le droit d’aller à des événements au nom de la marque. Certaines startups m’ont déjà dit que je peux faire des réunions chez eux, je fais partie de la famille et c’est très agréable quand on bosse seul à la base. À l’inverse, quand je bosse en freelance pour une agence, je suis prestataire de l’agence, je n’existe pas dans l’agence. Pour eux, je suis une externe qui doit arriver et partir à heure fixe.”

“Chez Dashlane, interface proposant de stocker ses mots de passe, les freelances sont aussi intégrés à l’intérieur de la startup : “Ils font partie des équipes agile comme tout le monde et participent aux stand-ups, ou bien aux démos qui ont lieu toutes les deux semaines, indique Manuel Dalle, senior product manager. Dashlane a d’ailleurs tendance à faire appel aux mêmes freelances de confiance, car “ils sont tout de suite opérationnels”, explique Manuel Dalle.”

À la recherche de l’innovation

En 5 ans, Chloé a essentiellement travaillé avec des startups – une dizaine – et y trouve de nombreux avantages.

“Je préfère l’esprit startup : l’innovation, la taille humaine, la rapidité de prise de décision, la liberté créative. Et surtout, j’adore participer au développement du projet et le voir grandir. Ils ont un esprit d’innovation, de créativité qui me convient mieux et on avance vite. Ils me répondent rapidement, ce qui est parfait pour mon domaine, où il faut être réactif.”

“Les freelances sont surtout intéressés par le projet en question. Ils veulent des domaines innovants, ils recherchent quelque chose d’ultra challengeant”, évalue Alexandre Legoux, freelance manager chez Talent.io, une plateforme faisant le lien entre travailleurs et entreprises, et qui comprend de plus en plus de freelances dans son catalogue. “En startup, ils ont un rôle d’expert et de conseil, ils ne sont pas là pour subir un environnement auquel ils ne sont pas adaptés, ni pour réparer des bugs”, insiste-t-il. Attention à ne pas prendre les freelances pour des bouches-trous interchangeables, donc.

Swann, sound designer indépendant spécialisé dans le jeu vidéo, aime aussi collaborer avec des startups pour leur côté différenciant : “Je me suis rapidement tourné vers ces structures, car c’est une mouvance du jeu vidéo qui m’intéresse beaucoup. Il s’agit de plus petites structures, plus humaines, avec de véritables risques et tentatives d’innovations. Cela crée des jeux extrêmement différents des grosses productions que nous connaissons tous, et apporte une véritable fraîcheur.” Ce Parisien de 26 ans a pour l’instant collaboré avec 3 startups, plutôt nommées “studios indépendants” dans le milieu du jeu vidéo. Question avantages, il cite notamment “l’adrénaline des projets novateurs et originaux”. Les échanges “plus humains” permis par la petite taille des équipes sont aussi un bonus à ses yeux.

Des besoins complémentaires

Les startups ont également tout intérêt à faire appel à des freelances. Disponibles, peu coûteux par rapport à une personne en contrat, investis : ils présentent de nombreux atouts. Faire appel à eux permet de surmonter bien des obstacles, administratifs, financiers ou temporels. “Les startups ont parfois du mal à recruter. Je ne peux parler que pour mon secteur (le développement et l’édition de logiciels) mais souvent, quand on a un besoin urgent, ça va plus vite de prendre des freelances en renfort ponctuel que de chercher à recruter des salariés”, reconnaît Manuel Dalle de Dashlane.

Pour les startups, recourir à des freelances permet de répondre rapidement à des besoins précis. “Dashlane se tourne vers les freelances pour deux types de mission, révèle ainsi Manuel Dalle. Soit un besoin ponctuel pour aider au développement d’une fonctionnalité ou sur un projet spécifique. Cela peut concerner des ingénieurs informaticiens. Soit un besoin de compétences que nous n’avons pas en interne, pour de la traduction ou de la localisation par exemple.”

 

Plus un.e freelance est spécialisé.e, plus son profil peut taper dans l’oeil d’une startup. C’est là qu’interviennent parfois des “job boards”, des plateformes de mise en relation entre indépendants et entreprises, comme Talent.io : “Le but est que les offres soient ultra ciblées, explique Alexandre Legoux. 95% des offres sont acceptées sur la partie freelance, on valide les structures et projets qui sont forcément à forte valeur ajoutée. On n’est que sur des missions de 3 mois renouvelables, où les freelances peuvent jouer un rôle important, intégrer une équipe et apporter leur expertise.”

Alexandre Legoux officie chez Talent.io en tant que “freelance manager”, un vrai rôle de médiateur et de suivi des travailleurs indépendants : “On est en contact direct avec le client quand le recrutement d’un freelance est en train de se faire. On lui téléphone quotidiennement, jusqu’à la signature du contrat de mission. Pendant la mission, je les accompagne chaque mois, que ce soit en faisant un déjeuner, avec un coup de fil, un texto, pour savoir comment ça se passe du côté du freelance.”

Faire valoir ses droits

Car, et cela est bien connu, la vie en startup n’est pas de tout repos. Si le fonctionnement de ce type de structure s’articule bien avec le statut de freelance, il faut parfois poser des limites. Chloé en a fait l’expérience lors de l’une de ses dernières missions auprès d’une startup.

“On me demandait d’être investie comme une salariée, sans les avantages du salariat. Je n’ai pas pris de vacances prenant un an, quand il y avait des soucis de trésorerie, on me demandait de faire des efforts alors que je n’avais pas de parts dans la boîte. On me demandait d’être dans les bureaux alors que l’intérêt d’être freelance, c’est d’être nomade.”

La social media manager a dû rappeler plusieurs fois au management, mais aussi, à certains collègues salariés dubitatifs ou critiques, les spécificités du statut de freelance. Elle s’est parfois exprimée au nom de la petite équipe qu’elle chapeautait, entièrement composée de freelances : “Je me suis retrouvée parfois face à des gens qui n’avaient pas envie de comprendre, qui étaient juste bloqués sur le fait qu’un freelance ça coûte cher. Ils ne comprenaient pas que je ne pouvais pas demander le même net qu’eux par exemple. J’ai essayé d’expliquer que si on est freelance sans avantages, ça n’a pas d’intérêt.”

“Je pose assez rarement de conditions car je connais assez bien mes clients, et je suis assez flexible, souligne quant à lui Swann. Néanmoins, il m’arrive d’imposer certaines choses, au début du contrat, ou même parfois en cours du contrat, en ce qui concerne le télétravail ou les horaires de travail, qui, rappelons-le, ne doivent pas être imposés.”

Prévenir les crises

À force d’expériences, Chloé a adapté ses pratiques : “Je trace tous mes mails, je fais des comptes-rendus de réunions par mail. La majorité du temps, les startups sont contentes car elles oublient ce qu’elles ont dit. Tous les lundis matins, je fais un mail avec des questions et ce que je veux faire, et j’essaie de les voir une fois par mois. L’idée est d’éviter les conflits inutiles.” Son astuce ? Ne pas répondre à l’appel d’un client : “Je ne décroche plus le téléphone quand je vois un client qui appelle. Je rappelle une demi-heure après, quand le côté surexcitation s’est calmé. Ça évite qu’il se passe les nerfs sur nous. Souvent, le client me dit qu’il a finalement trouvé une solution de lui-même.”

Selon Chloé, c’est une difficulté récurrente parmi les startups, inhérente à la charge de travail intense qu’elles requièrent : “En startup, les gens oublient qu’on est tous énormément sous pression, regrette-t-elle. Le rapport humain devient compliqué car la fatigue nerveuse s’accumule. Mieux vaut parfois sortir de la pièce, ou arrêter de répondre aux mails, ça gère les crises diplomatiques.”

En tant que freelance manager, Alexandre Legoux peut être amené à gérer des relations compliquées entre un.e freelance et une startup, mais jamais à son initiative : “Pendant une mission, je peux avoir un rôle de conseil, de réajustement. Imaginons qu’il y ait des doutes sur le projet technique de la mission et que le freelance nous dit que c’est compliqué, on appelle alors le client pour expliquer le point de vue du freelance. On essaie d’anticiper les problèmes, tout en travaillant au cas-par-cas.”

Photo de couverture rawpixel.com
Photo #2 Daria Nepriakhina
Photo #3 Headway

Morgane Giuliani
Journaliste indépendante

Diplômée de Science Po, je me suis lancée dans la grande aventure du freelance en 2017, devenant pigiste à Paris après quelques années dans une grande radio. Parmi mes marottes : la culture et les enjeux de société et du numérique.

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