Comment les grandes entreprises travaillent-elles avec les freelances ?11 minutes de lecture

Amédée débroussaille pour vous la relation entre freelances et grands comptes, qui n’est pas toujours simple mais de plus en plus structurée.

Les travailleurs indépendants ont toujours collaboré les entreprises, mais avec des montages juridiques et des chaînes de valeur plus ou moins compliquées. Avec l’explosion du nombre de freelances dans une variété de domaines, la relation avec les grandes entreprises évolue et de nouveaux acteurs tentent de rendre le marché plus intelligent. Pour mieux comprendre comment fonctionne la collaboration freelance-entreprises, Amédée est allé poser quelques questions à ceux qui font appel à des travailleurs indépendants.

Quels sont les types de freelances les plus recherchés ?

Dominique de Beaufort, directeur achats de la MAIF, estime que les recours aux freelances se font à 80% dans le domaine informatique. Mehdi Belarbi, de la start-up Comet qui met en relation freelances et entreprises, confirme que ce secteur a le vent en poupe : “Nous avons une communauté de 3600 freelances dans deux verticales : la tech et data. Nous avons commencé par là car ce sont les deux colonnes vertébrales de toute la transformation numérique, et le marché va dans leur sens.”

“Il y a beaucoup plus de demandes en tech et en data qu’il n’y a de compétences disponibles.” Mehdi Belarbi, Comet

Emmanuel Guillaud, fondateur et dirigeant de GEnetvision, une société qui accompagne des projets internet et mobile, orchestre une communauté de 200 freelances. “Travailler avec des freelances et non des salariés, ça me permet de couvrir toutes les technologies et de gérer plein de profils différents, contrairement aux agences spécialisées.”

L’autre grand domaine d’activité dont nous ont parlé les personnes que nous avons interrogées, c’est celui de la création graphique. “Le métier veut que ce soit beaucoup des gens qui travaillent à leur compte, estime Céline Jeanneau, de la direction juridique de la MAIF, en charge de la sécurisation des contrats de prestation d’achats. Thomas Parneix, concepteur réalisateur au Studio de création MAIF, appuie : “la création graphique est notre coeur de métier, on a une charge de documents à produire qui est très conséquente donc on va chercher des freelances pour cela. Mais aussi quand on n’a pas toutes les compétences en interne, et enfin pour trouver un renouveau de créativité qui est nécessaire dans notre métier.”

Qu’est-ce qui fait un bon freelance ?

Au-delà des indispensables compétences techniques et de la capacité à respecter un certain nombre d’impératifs, il existe d’autres critères pour départager les indépendants. Emmanuel Guillaud recommande aux freelances de se spécialiser et de le faire savoir : “Il faut avoir une plus-value, une niche, mettre en avant son originalité par rapport à la masse. Aujourd’hui, un freelance qui n’est pas spécialisé est mort.”

Pour Dominique de Beaufort, la “connaissance métier” est très importante : “Quand on vous donne une mission pour une partie de notre activité d’assureurs, vous aurez beau être le meilleur développeur du monde, si vous ne savez pas ce que c’est vous n’allez pas peut-être pas développer dans la bonne direction.” Enfin, il y a la question des valeurs partagées, du savoir-être, du feeling : bref, toutes les soft skills qu’il est difficile d’évaluer à l’avance. “Outre les qualités créatives, j’insiste beaucoup sur la relation de confiance, c’est le plus important”, estime Thomas Parneix.

“Vous avez beau être le meilleur développeur du monde, si vous ne comprenez pas notre métier vous n’allez peut-être pas développer dans la bonne direction.” Dominique de Beaufort, direction achats de la MAIF

Comment les freelances sont-ils “recrutés” par
les entreprises ?

Les réponses varient en fonction de la taille de la structure. Emmanuel Guillaud de GEnetvision sait “sourcer des gens sur Google, des plateformes, des groupes Facebook, sur Twitter, etc. Si je n’ai pas le profil pour une mission, je passe des annonces.” Le Studio de Création MAIF fonctionne aussi beaucoup par réseau : “On est au siège de la MAIF à Niort, une petite ville où tout l’écosystème créatif se connaît, donc on trouve beaucoup de nos freelances en local.” Thomas Parneix épluche également les réseaux sociaux, les plateformes, les sites comme Behance. “Et puis on a toujours à coeur d’aller rencontrer des collectifs de freelances un peu partout.”

Traditionnellement, les grands comptes comme la MAIF ont plutôt recours aux grandes ESN (entreprises de services numériques, ex-SSII) comme Accenture ou CapGemini, qui trouvent des freelances pour des missions spécifiques. Mais le modèle n’est pas idéal : entre le freelance et le client final, il peut y avoir deux, trois ou quatre intermédiaires, ce qui entraîne un surcoût. Et cette “sous-traitance en cascade” complique aussi le suivi, obligatoire depuis la loi de 1975 sur la sous-traitance, rappelle Dominique de Beaufort. “Aujourd’hui se développent d’autres solutions, comme le portage salarial, qui est très intéressant car il permet de travailler dans la durée avec des freelances, avec un statut juridique qui n’est pas ambigu.”

Céline Jeanneau, de la direction juridique, observe aussi la “nouvelle population de freelances qui travaillent pour des clients via des start-ups comme Comet.” La start-up supprime tous les intermédiaires des ESN, sauf un. Les freelances passent des tests techniques, puis ils sont appelés par Comet pour “savoir quel est leur environnement de travail idéal avant de faire le matching”, explique Mehdi Belarbi. Aux entreprises, Comet vend le fait de trouver le freelance dont ils ont besoin en 48 heures — et de casser les prix : dans le système traditionnel des ESN, “un ingénieur peut être payé 200€ par jour et facturé 1000€ au client. Disons que sa vraie valeur est de 500€ : notre commission est de 10%, on facture donc 550€ au client. Tout le monde est gagnant.”

Quels sont les obstacles à la collaboration entre freelances et grandes entreprises ?

On l’aura compris, il est encore difficile pour des freelances de traiter directement avec des grands comptes. Cela tient d’abord à des contraintes réglementaires : les entreprises, surtout quand elles sont réglementées comme la MAIF, doivent faire très attention aux risques de délit de marchandage ou de prêt illicite de main d’oeuvre.

“Il ne faut pas que les indépendants viennent à la place d’un CDI.”
Céline Jeanneau, direction juridique de la MAIF

Cela rend compliqué de faire travailler des indépendants en direct, car ils sont immédiatement en dépendance économique, surtout que nos projets sont longs en général”, explique Dominique de Beaufort. D’où l’habitude prise de travailler avec les ESN et des entreprises de portage salarial. Aujourd’hui, si une start-up comme Comet n’enlève pas a priori le risque de délit de marchandage ou de prêt illicite de main d’oeuvre, elle “permet de mieux piloter et comprendre ce qu’on fait avec des indépendants”, souligne Dominique de Beaufort.

Au-delà de ces freins juridiques, Céline Jeanneau souligne le fait que les sociétés de services “offrent une sécurité plus importante en termes de disponibilité d’équipe, ce qu’on n’a pas avec un freelance”, en particulier sur des gros projets. Et puis, tout simplement, les grandes entreprises ne savent pas forcément où aller chercher les freelances dont elles ont besoin : “ce n’est pas notre métier et nous ne sommes pas structurés pour faire ça”, rappelle Dominique de Beaufort.

À quoi ressemble l’avenir de la relation freelances-entreprises ?

Il passera très certainement par des intermédiaires qui connaissent et comprennent cette nouvelle force de travail. Thomas Parneix dit s’intéresser de plus en plus aux collectifs de freelances : “On a les mêmes valeurs et la même philosophie, et puis avec eux on a une garantie de créativité et de suivi de projet, ça donne confiance.” Pour lui, “l’avenir du freelancing passe par ces communautés et ces collectifs.” Céline Jeanneau abonde : “On a toujours eu des entrepreneurs individuels, le problème c’est quand ils sont isolés. Je leur conseillerais de se rapprocher de structures qui leur donnent une visibilité auprès des grands comptes que nous sommes.” C’est la prochaine étape pour Comet qui, “pour rivaliser avec les ESN, aimerait pouvoir faire démarrer des équipes à la demande” : ne pas vendre un free tout seul, mais toute une équipe qui peut prendre en charge l’ensemble du projet. C’est ce que font déjà les collectifs de freelances dont nous parlions dans cet article, et c’est peut-être le seul moyen de décrocher de gros contrats.

Le fait d’avoir des Chief Freelance Officers n’est pas encore très implanté en France

Côté entreprises, Dominique de Beaufort souligne le fait que “les donneurs d’ordres vont devoir apprendre à s’organiser différemment pour intégrer ce type de profils.” Mehdi Belarbi, qui travaille avec une vingtaine de groupes du CAC 40, imagine un futur dans lequel “chaque entreprise aura sa nébuleuse de freelances autour d’elle.” Si aux États-Unis certaines entreprises y sont déjà, créant des postes de Chief Freelance Officer à la croisée des achats et des ressources humaines, la pratique n’est pas encore réellement implantée en France. “Il y a peut-être un CFO chez Deezer, tente Mehdi Berlabi. Dans la tech, on entend parler de community catalysts ou de tech evangelists, mais il n’y a pas encore d’harmonisation.”


Photo de couverture : Sean Pollock

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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