Réformer les plateformes de travail7 minutes de lecture

Alors que les conjectures vont bon train sur ce que sera – ou devrait être – le cadre réglementant les plateformes de travail, il nous a paru intéressant de nous pencher sur le Rapport sur les plateformes collaboratives et la protection sociale de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) établi par Nicolas Amar et Louis-Charles Viossat et publié l’année dernière.

Pour cela, nous sommes allé à la rencontre de Nicolas Amar qui a accepté de répondre aux questions de votre génie bien-aimé. Si vous êtes prêts à faire l’effort de vous mettre dans les chaussures – cirées – d’un haut fonctionnaire pour comprendre pourquoi tout n’est pas si simple et envisager des solutions concrètes aux maux des travailleurs collaboratifs, alors lisez cet article.

Le rapport, rendu en mai 2016 avait été commandé l’été précédent. Un été 2015 marqué par le conflit opposant les taxis et les VTC ; Uber rentrait dans le tas avec Uberpop, c’était chaud, on allait tous se faire uberiser, la rue commençait à gronder. On ne pouvait plus remettre le sujet à plus tard. L’économie dite collaborative s’était déployée et elle n’apporterait pas que du love. Dans son sillage de nouvelles modalités du travail voyaient le jour à un rythme impossible à suivre par le législateur, les acteurs installés criaient à la concurrence déloyale et les entrants se plaignaient des bâtons qu’on mettait dans leurs roues. Des femmes et des hommes se retrouvaient dans une immense zone grise ne sachant pas trop comment ils devaient se déclarer, de considérer, se revendiquer.

C’est dans ce contexte que l’IGAS proposa ce rapport présenté comme “une première tentative, à l’initiative de l’IGAS, pour décrire et analyser, en France, l’impact des plateformes collaboratives, comme Uber, Airbnb ou Leboncoin, sur le marché du travail, les formes d’emploi, la sécurité sociale, l’assurance chômage… Le rapport formule une trentaine de recommandations afin d’améliorer les conditions de travail et la protection sociale des travailleurs collaboratifs sans bouleverser les modèles économiques innovants des plateformes

On oppose généralement les nouvelles formes du travail issues des plateformes collaboratives au modèle salarial et vous, vous parlez de salariat de plateforme. De quoi s’agit-il ?

N.A. Effectivement, on a souvent une image étroite du salariat que l’on associe généralement au CDI alors qu’il existe une grande variété des formes du salariat, notamment des formes plus souples qui fonctionnent déjà dans bien des situations. Le CESU (Chèque Emploi Service Universel) utilisé par exemple pour l’aide ménagère à domicile est en vigueur depuis 2006 et permet déjà d’encadrer les relations entre le particulier-employeur et le salarié. Il y a bien entendu le CDD, l’intérim, le portage salarial, l’intermittence… Il existe aussi des salariés classiques travaillant via des plateformes. La moitié des chauffeurs Uber sont salariés d’entreprises capacitaires, ce que l’on ignore souvent.

Salariat et travail collaboratif sont compatibles

Dans notre rapport, nous proposons l’instauration d’un contrat collaboratif en un clic qui serait une sorte de CESU électronique qui fonctionnerait pour toutes les plateformes de jobbing comme, par exemple, Stootie ou Needhelp. Il s’agirait d’un mode simplifié de déclaration et de paiement. Cela faciliterait l’accès au droit, mais ne changerait rien au montant des cotisation et aux droits liés. Ce n’est pas un nouveau régime (comme le CESU classique, il entrerait dans le champ du régime général) mais juste une simplification et une clarification.

Nous nous sommes aussi intéressés aux coopératives d’activité et d’emploi (CAE) (Coopanam, Port Parallèle, SMart…) qui nous semblent proposer un modèle intéressant puisqu’elles permettent de salarier ces travailleurs collaboratifs qui tombent alors sous le droit du régime général. À ce cadre social, s’ajoutent un soutien administratif, une assistance juridique et un accompagnement individuel. C’est dans cet esprit que nous avons réfléchi à des formes de portage collaboratif.

Et comment faire pour simplifier la vie des travailleurs de plateformes qui sortent carrément du champ salarial ?

N.A. Nous avons aussi travaillé sur l’idée d’un statut ultra-simplifié de micro-entrepreneur collaboratifIl est souvent difficile de savoir si son activité est professionnelle ou non. Le droit fiscal, le droit commercial ou le droit de la Sécu peuvent être en conflit entre eux. Tout cela crée de la complexité administrative ce qui représente un frein au développement de ces activités. Nous avons imaginé quelque chose d’extrêmement simple : en dessous d’un certain plafond, on déclare simplement ce que l’on a touché (avec son numéro de Sécu) et l’administration ne cherchera pas à comprendre si ce revenu a été perçu au titre d’une activité professionnelle ou non. Cela permet aux travailleurs des plateformes collaboratives de se sécuriser juridiquement auprès des impôts et le de l’URSSAF.

Enfin, nous avons réfléchi à la création d’une nouvelle caisse digitale de e-Sécu qui permettrait de dématérialiser et de simplifier l’ensemble de la relation avec le travailleur de plateforme.

Les relations entre plateformes et travailleurs collaboratifs sont parfois tendues (dégradation de la notation du travailleur voir carrément déréférencement, pression sur les prix…) ; comment encadrer ces relations pour protéger les travailleurs ?

N.A. Dans notre rapport, nous invitons les plateformes à se saisir de la question et à inventer de nouvelle modalités de résolution des conflits. La médiation Rapoport entre les représentants des chauffeurs Uber et la plateformes a conduit Uber a proposé un dispositif de ce type (voir l’Annexe 7 en page 27). Il s’agit ici de dispositions particulières visant à faciliter la résolution des litiges entre la plateforme et le travailleur collaboratif. Elles s’inscrivent dans le cadre d’une relation individuelle.

Nous faisons aussi des préconisations au niveau collectif notamment la création d’un droit à la négociation professionnelle collective pour les travailleurs collaboratifs.

Aujourd’hui,  il n’est pas possible pour les travailleurs collaboratifs de s’organiser collectivement pour faire valoir des revendications, car le droit à la concurrence considérerait cela comme une entente. C’est pour cela que nous proposons l’instauration d‘une exception travail à l’application du droit de la concurrence.

Enfin, nous proposons la création d’une plateforme de notation des plateformes à l’image de Fair Crowd Work en Allemagne. Avec France Stratégie et Sharers and Workers, nous avons rassemblé des plateformes et des travailleurs de plateformes pour réfléchir à cela.

Nombre de ces plateformes ne sont pas basées en France, est-il vraiment possible de réglementer dans ces conditions ?

N.A. On peut déjà commencer par s’accorder au niveau européen. Nous préconisons par exemple L’adoption d’un statut européen des plateformes d’emploi à l’image de ce qui existe pour les hébergeurs internet et les éditeurs de logiciel, deux secteurs eux aussi difficiles à contrôler efficacement au niveau national. L’idée est qu’il faudrait créer une troisième catégorie dédiée aux plateformes d’emplois afin de déterminer ce que les états peuvent imposer à la relation entre prestataire et donneur d’ordre dans le cadre de l’économie de plateforme, car aujourd’hui il y a un flou sur le droit qui s’applique. Faut-il appliquer le droit du travail ou le droit commercial comme le soutiennent les plateformes qui se considèrent comme des prestataires de service et non comme des donneurs d’ordre ou des employeurs ? Que faire en cas de conflit entre différents droit nationaux dans des situations où le donneur d’ordre, le consommateur et le prestataire se trouvent chacun dans un pays différent ? Une directive européenne sur ce sujet permettrait déjà d’y voir plus clair.

La question devra aussi être traitée au global, c’est pourquoi nous proposons d’engager des discussions entre l’OIT (Organisation Internationale du Travail) et les grandes plateformes de micro-travail.

Antoine van den Broek
Rédacteur en chef d’Amédée

Indépendant, frère-fondateur de Mutinerie, penseur, acteur et témoin des nouvelles formes de travail, passionné par le développement de communautés, j’aime faire des rencontres et raconter des histoires, deux activités auxquelles je peux me livrer par la grâce d’Amédée

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