Quand le syndicalisme s’occupe (enfin) des indépendants4 minutes de lecture

En octobre 2016, la ville de New York vote le “Freelance Isn’t Free Act”, la toute première loi des États-Unis conçue spécifiquement pour protéger les travailleurs indépendants. À l’origine du texte, le syndicat Freelancers Union, lancé quinze ans plus tôt par la juriste Sara Horowitz pour défendre les droits des freelances sur le marché du travail. Chez nous, cet événement a commencé à remettre en question une conception du syndicalisme dans laquelle représentation collective et salariat sont intimement liés. Pourquoi, au fond, les travailleurs indépendants ne pourraient-ils pas être représentés par des syndicats ?

Les petits syndicats, des corporations des temps modernes

En réalité, c’est déjà le cas. En France, il existe de très nombreux petits syndicats qui représentent souvent un seul type de profession, un peu comme les corporations du Moyen Âge. Parmi eux, le Comité des artistes-auteurs plasticiens (CAAP), fondé en 1996 pour répondre à la “sous-information des artistes-auteurs sur leurs conditions d’exercice professionnel, spécifiques socialement et fiscalement”, explique Katerine Louineau, l’une des 80 membres actifs qui font tourner bénévolement le syndicat.

Pour elle, les artistes-auteurs font face à deux difficultés principales : “ce sont des métiers très très individualisés”, et “on ne sait pas faire une facture en sortant d’école d’art. Quelqu’un qui ne se fait pas accompagner met dix ans à comprendre ce qu’il aurait dû faire dès le début.” Or, les jeunes artistes ignorent jusqu’à l’existence des syndicats : Le syndicalisme n’est pas une évidence pour les indépendants.” Même son de cloche du côté de l’Alliance française des designers : “la représentativité syndicale dans notre secteur est très faible !”, nous écrit Christophe Lemaire, membre du Conseil d’administration.

Les organisations de ce type qui bénéficient d’une meilleure visibilité sont celles qui unissent des travailleurs très différents, mais affiliés au même statut, comme la Fédération des auto-entrepreneurs et des micro-entrepreneurs (FEDAE), ou celles qui rassemblent des travailleurs de plateformes unis par le fait qu’ils ont le même “employeur”. C’est le cas du SCP-VTC, le premier syndicat de chauffeurs de VTC, qui veut être le porte-parole des chauffeurs face à des plateformes comme Uber, dont il considère qu’elles ont recours à un “salariat déguisé”. Ces structures ont aussi pour point commun de s’adresser à une nouvelle frange de travailleurs qui ne sont pas représentés par les confédérations de métiers.

Les syndicats traditionnels s’y mettent

Ces nouveaux travailleurs, les syndicats traditionnels de salariés les ont longtemps laissé filer. “Ce sont des gens auxquels on ne parle jamais parce qu’on les qualifie de non-salariés”, déplore Stéphane Chevet, secrétaire national de la CFDT. Mais ce temps-là est bientôt révolu. Depuis fin 2015, la CFDT travaille à une plateforme baptisée Union, conçue pour “faciliter la vie des travailleurs indépendants”, dit le site.

Le projet s’est d’abord focalisé sur des outils et services : un noyau CRM, un outil d’établissement de devis et factures, une protection juridique, du conseil, etc. “On a inventé un néologisme : la syndisruption. Faisons comme les entreprises, partons du principe que nous sommes mortels, qu’on doit se transformer et le faire en fonction des usages des travailleurs.” Mais “en essayant d’être innovants, on a tourné le dos à notre vrai métier : le revendicatif”, replace Stéphane Chevet. Résultat, la V0 du site a été désactivée et la V1 sera présentée lors de la prochaine Freelance Fair.

L’intuition semble bonne : sur le terrain des services, les syndicats vont avoir à faire face à la concurrence de start-ups bien plus agiles qu’eux, selon l’expression consacrée. WeMind propose aux freelances les services qu’ils auraient s’ils étaient salariés ; le service bancaire Shine veut être le “copilote” des indépendants ; la coopérative Smart propose aux indépendants belges un outil de gestion et une assurance.

La Freelancers Union, d’ailleurs, “s’apparente davantage à une entreprise de services qu’à un syndicat comme nous l’entendons”, selon les termes de l’économiste britannique Guy Standing rapportés par Les Échos. Autant, donc, disrupter tout en restant sur son cœur de métier. Quant à la concurrence des autres syndicats traditionnels, Stéphane Chevet ne semble pas trop s’en inquiéter. “Les autres organisations syndicales nous expliquent qu’en aidant ces travailleurs-là, on met en danger les salariés. (…) Chez les freelances, ce n’est pas le monde des Bisounours, il y a des échecs, mais il y a aussi des réussites. Ce statut, c’est souvent un choix.”

Photo de couverture : James Wainscoat
Photo #2 :  Muhammad Raufan Yusup

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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