À quoi sert un syndicat de freelances ?6 minutes de lecture

Aux États-Unis, en France et ailleurs, les freelances s’organisent et créent des syndicats pour défendre leurs droits. Entre revendications politiques et accompagnement quotidien, ces organisations (ré)inventent le syndicalisme en dehors du salariat.

Au printemps 2020 se lançait en France un nouveau syndicat : independants.co qui, comme son nom l’indique, vise à défendre les intérêts des travailleurs indépendants. Dans sa tribune de lancement, le syndicat écrivait : “Nous aspirons à l’autonomie mais nous ne voulons pas renoncer à la sécurité. C’est pourquoi nous lançons un syndicat pour nous fédérer et peser dans le débat public.” 

Il n’est pas le premier à vouloir représenter les freelances : aux États-Unis, la Freelancers Union a été montée par Sara Horowitz en 1995 ; en Europe, le European Freelancers Movement fédère les organisations qui défendent les intérêts des indépendants dans plusieurs pays. En France, il existe deux grands types d’organisations par et pour les travailleurs indépendants : d’un côté,  de très nombreux petits syndicats qui représentent souvent un seul type de profession, un peu comme les corporations du Moyen Âge ; de l’autre, celles qui fédèrent les travailleurs par statut, comme le SCP-VTC, le premier syndicat de chauffeurs de VTC, ou la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE).

Independants.co est donc le dernier venu dans un paysage déjà complexe, où plusieurs acteurs tentent de combler un manque cruel dans la vie des travailleurs indépendants : l’absence de concertation et de représentation. Mais un syndicat de freelances, comment ça marche ? Et surtout à quoi ça sert ?

Un modèle social qui ne prenait pas en compte les freelances

Historiquement, les syndicats défendent les intérêts des travailleurs face aux actionnaires, représentés par les patrons. Ils représentent donc généralement les salariés. En France, comme le rappelle la tribune d’independants.co, “le système de protection sociale actuel a été pensé à l’ère de l’économie de masse, où le salariat et le plein emploi étaient la norme”. Les travailleurs indépendants étaient alors “globalement, des artisans, des commerçants, des professions libérales et des agriculteurs”, souligne Hind Elindrissi, co-fondatrice d’independants.co, dans une interview avec Ze Village. Et ils n’étaient pas inclus dans le champ de préoccupation des syndicats de salariés.

Ces syndicats “traditionnels” se sont en effet longtemps détourné des travailleurs indépendants – et l’arrivée de nouveaux profils ne change pas grand-chose à l’affaire. Comme nous l’expliquait il y a quelques années Stéphane Chevet, secrétaire national de la CFDT, “ce sont des gens auxquels on ne parle jamais parce qu’on les qualifie de non-salariés.” La CFDT était alors en train de développer Union, une plateforme conçue pour “faciliter la vie des travailleurs indépendants”. Mais l’accent mis sur les services n’a finalement pas convenu : “en essayant d’être innovants, on a tourné le dos à notre vrai métier : le revendicatif”, nous disait Stéphane Chevet après la mise au placard de la V0 du site. Un bon exemple de la difficulté qu’ont les syndicats traditionnels de se positionner par rapport aux indépendants : “Les autres organisations syndicales nous expliquent qu’en aidant ces travailleurs-là, on met en danger les salariés.”

Les besoins spécifiques des freelances

Aujourd’hui, si le salariat représente encore 90 % de la population active, la part d’indépendants ne cesse d’augmenter et les profils de se diversifier. Or, les freelances font face à des risques structurels et spécifiques : la protection sociale étant encore très liée au salariat, ils bénéficient d’une faible assurance chômage et d’un accès compliqué aux congés maladie ; l’instabilité financière génère des difficultés d’accès au logement et au crédit bancaire ; leur précarisation est aggravée par le poids croissant des plateformes à la Uber. 

Le pouvoir de ces plateformes est d’ailleurs l’un des éléments déclencheurs de la décision de constituer indépendants.co : elles disposent de l’organisation et des moyens nécessaires pour mener un travail de lobbying auprès des gouvernements, contrairement aux freelances qui sont par définition atomisés et isolés. “Nous croyons encore au bien-fondé de la négociation collective et du dialogue social. Si nous ne nous fédérons pas au sein d’un collectif représentatif, nous courons le risque que d’autres acteurs parlent en notre nom et négocient à notre place”, écrivent les fondateurs du “néo-syndicat”.

Un rôle politique et d’accompagnement

Les syndicats de freelance se constituent donc d’abord pour porter certains sujets sur la scène politique. Le grand fait d’armes de la Freelancers’ Union, par exemple, a été de contribuer au vote, par la ville de New York, du “Freelance Isn’t Free Act” : en octobre 2016, il s’agissait alors de la toute première loi des États-Unis conçue spécifiquement pour protéger les travailleurs indépendants. En France, il s’agit de ne pas laisser le champ libre aux plateformes, comme lors des débats sur la loi mobilité, et plus largement, de “faire évoluer les régimes obligatoires”, comme l’explique Hind Elindrissi à Ze Village.

À un niveau plus “micro”, les syndicats et fédérations apportent aussi un appui quotidien : le Comité des artistes-auteurs plasticiens (CAAP), par exemple, a été fondé en 1996 pour répondre à la “sous-information des artistes-auteurs sur leurs conditions d’exercice professionnel, spécifiquement socialement et fiscalement”, nous l’expliquait l’une de ses membres, Katerine Louineau. La FNAE, en plus du volet politique, se positionne sur un “accompagnement technique et théorique, la création de fonds documentaires riches, le développement d’études et d’enquêtes”, comme le détaille son site. La Freelancers’ Union, elle, n’est pas un “pur” syndicat : elle propose à ses membres une couverture santé, mais aussi l’accès à une communauté dans près de 25 villes, des services légaux et financiers, une activité d’information avec une enquête annuelle, et un média dédié aux indépendants.

Les syndicats d’indépendants ont donc un rôle hybride : d’une part, comme n’importe quel syndicat professionnel, de porter les revendications sociales et politiques de leurs membres ; de l’autre, de fédérer et rassembler des travailleurs isolés les uns des autres, un peu comme le ferait un collectif ou une communauté. Comme l’écrivent les fondateurs d’indépendants.co, “l’autonomie n’est ni synonyme d’individualisme, ni synonyme de solitude.” Se syndicaliser, quand on est indépendant, c’est être à la fois moins seul et plus solidaire.

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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