Équilibrer son travail alimentaire et son travail passion quand on est freelance7 minutes de lecture

Certains freelances ont la chance d’être passionnés par 100% de ce qu’ils font, mais ce n’est certainement pas la majorité. Comment font tous les autres pour concilier leur travail alimentaire, leurs passions et leurs activités créatives ? Amédée s’est posé la question.

Quand on lit des témoignages sur la vie de freelance, ils se divisent généralement en deux grandes catégories. On a d’un côté les rationnels, qui se sont lancés dans une version indépendante d’une activité qu’ils pratiquaient déjà comme salariés. Ceux-là parlent d’optimisation de leur temps de travail, de croissance de leur portfolio, de développement de leurs compétences. Bref, ils abordent leur vie professionnelle comme n’importe quel travailleur qui construit sa carrière. La deuxième catégorie, ce sont les passionnés. Ceux-là ont souvent changé de vie après un burn-out ou une lassitude dans leur activité salariée, se sont découvert une passion pour un métier différent, parlent de quête de sens et d’épanouissement personnel.

Et vous dans tout ça ? Il n’est pas toujours évident de se reconnaître dans l’une ou l’autre catégorie. Pourtant, entre ces deux pôles, il y a tout un tas de gens qui jonglent entre une activité alimentaire et un travail passion, qui tentent de faire cohabiter leur vocation avec les contraintes de la vie professionnelle en freelance. Comment font-ils ? C’est ce qu’Amédée s’est demandé.

ÊTRE JONGLEUR ET ÉQUILIBRISTE

Vous connaissez l’adage (tantôt attribué à Confucius, tantôt à Mark Twain, tantôt à… Marc Anthony) : faites ce que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un jour de votre vie. Sympa, mais pas tout à fait réaliste : même quand on a la chance de faire un métier qu’on aime, il y a des jours où on a envie de tout sauf de travailler. Et il y a des activités qu’on accepte non par amour pour elles, mais parce qu’on doit payer son loyer. Le lot de nombreux freelances, c’est de jongler entre travail alimentaire, travail plus créatif et/ou travail passion. Comme je le racontais dans cet article, pour moi, il s’agit de trouver l’équilibre entre copywriting pour des entreprises, articles plus journalistiques et écriture de fiction. Pour d’autres, comme Florence, c’est réserver assez de temps pour le dessin et l’illustration quand on bosse comme chargée de communication. Pour Lilas, il faut jongler entre la pratique artistique de la photo et une activité de consultante en innovation.

Dans ce numéro d’équilibriste, le premier nerf de la guerre, c’est le temps. Alors que l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle n’est déjà pas évident à atteindre, cela se complique encore si on a une activité “passion”. Après plusieurs années d’expérience, j’aurais tendance à dire que la solution tient à la routine : toute pratique créative a besoin de régularité, et elle doit donc être insérée coûte que coûte dans votre quotidien, devenir un élément parmi d’autres de votre journée de travail. Lilas confirme : “J’ai besoin de pouvoir penser à la photo tous les jours, même si ce n’est que quelques minutes. Quand mon travail alimentaire devient trop pressant et que je cesse de travailler sur mes projets, même juste une semaine, je trouve ça très dur de s’y remettre.”

Cela implique donc de ne pas se laisser envahir par le travail alimentaire. Plus facile à dire qu’à faire, certes, mais je m’aventurerai à redonner un conseil déjà plusieurs fois dispensé ici : privilégiez des missions régulières plutôt que des gros projets one-shot, qui sont coûteux en temps et en énergie et ont tendance à perturber la routine. Je suggérerais aussi de s’affranchir de l’idée selon laquelle on a besoin de longues plages de temps devant soi pour s’adonner à une activité créative : oui, c’est l’idéal, mais rien ne vaut la régularité. Griffonner quelques lignes entre deux calls, c’est toujours mieux que de ne pas le faire. Florence, elle, a toujours son cahier de croquis à portée de main, et elle dessine dans tous les interstices qu’elle peut trouver.

TRAVAIL ALIMENTAIRE ET PASSION, MÊME COMBAT ?

Une autre stratégie, c’est d’avoir une activité alimentaire et une activité passion assez proches : copywriting et fiction, photo de mariage et photo d’art, graphisme et illustration, etc. Sur le papier, vous passez plus de temps à faire ce que vous aimez, et les deux activités peuvent se nourrir mutuellement. Devoir rester en veille sur des sujets d’innovation pour mes clients corporate me donne des idées pour des articles journalistiques, voire pour des histoires (j’aime bien la fiction spéculative). Lilas a une approche de la photo conceptuelle et nourrie de productions intellectuelles qui sont également importantes dans son métier de consultante. 

Bien sûr, avoir des activités aussi proches a aussi son revers. À force de toujours utiliser le même “muscle” dans votre cerveau (celui de l’écriture, du dessin, de la musique), vous courez le risque de vous en lasser, de ne plus savoir l’utiliser de manière créative. À ce problème, il n’y a pas de solution toute trouvée. Certains compartimentent leur passion et leur travail — l’écrivain américain Peter Brett a ainsi rédigé son premier roman dans le métro, en allant et revenant de son job dans la publication pharmaceutique. D’autres s’efforcent de trouver et maintenir le bon équilibre. Pour ceux-là, il peut être judicieux d’agir sur les outils qu’ils emploient dans leur travail passion : de mon côté, pour écrire, j’ai délaissé l’ordinateur pour un bon vieux cahier et un stylo. Cela envoie à mon cerveau le signal qu’il est temps de passer à une autre activité et éloigne les tentations de la procrastination sur Internet. On peut jouer sur les lieux, aussi : aller à la bibliothèque pour abattre son travail alimentaire et dans son café préféré pour s’inspirer, ou inversement. Bref, tout ce qui perpétue une routine tout en permettant une certaine flexibilité est votre allié.

Pour Florence, il et très important de “toujours garder un bout de sa passion que l’on pratique de manière totalement gratuite et qui créé ainsi des moments de respiration.” Pour elle, ça s’est traduit par s’inscrire à des cours de modelage et sculpture. “Je ne pense pas m’en servir directement dans mon travail, ça vient pour autant sans doute infuser d’une manière ou d’une autre mais c’était d’abord et avant tout quelque chose juste pour le plaisir”, explique-t-elle. Car le plaisir, c’est ce qui justifie le fait d’accepter des missions alimentaires qui ne nous enthousiasment pas toujours : si ça permet de faire des choses qu’on aime, alors ça continue de valoir le coup.

UN ÉQUILIBRE TEMPORAIRE ?

Enfin, là où le bât blesse le plus souvent, c’est quand il s’agit de transformer le travail passion en travail, justement, c’est-à-dire en activité qui génère au moins une partie de vos revenus. De mon côté, la fiction ne m’a pas encore rapporté le moindre centime, mais je réfléchis à un moyen d’utiliser ce que je sais de l’écriture créative dans mon métier. Florence, elle, a déjà un carnet de commandes un peu fourni pour ses illustrations, mais il lui reste à trouver la sacro-sainte régularité dans sa pratique. Comme elle nous le racontait ici, tout l’enjeu pour elle est de s’“inventer un nouvel espace professionnel” qui associe le dessin et son expertise dans la communication. “J’essaie de tenir les deux ensemble, si jamais mon activité créative ne marche pas.”

C’est là le cœur du sujet : l’équilibre entre boulot alimentaire et passion est un exercice de transition — du moins c’est ce que tous nous espérons. Car si l’on veut faire de sa passion un métier, l’idéal est qu’un jour travail alimentaire et travail passion se recouvrent complètement. Alors, on appartiendra joyeusement à la catégorie des freelances qui n’ont pas besoin de travailler un seul jour dans leur vie — si tant est que l’adage soit vrai.

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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