Est-ce la fin du digital nomadisme ?8 minutes de lecture

Depuis plus d’un an, la pandémie restreint les voyages de tous et altère le mode de vie des freelances qui ont choisi d’être nomades. Pourtant, même s’il est en train de changer assez profondément, on aurait tort de prophétiser trop tôt la fin du travail sur la route.

La crise sanitaire liée au coronavirus aura-t-elle raison du digital nomadisme ? Elle a en tous cas mis un coup d’arrêt radical au voyage international : d’après l’Organisation internationale du tourisme, les arrivées touristiques ont baissé de 79% entre 2019 et 2020. Et de nombreux digital nomades sont rentrés chez eux pour vivre les confinements successifs avec leurs proches. Un an après, certains prophétisent déjà une explosion du digital nomadisme une fois que la crise sera passée (mais qui peut dire quand ?), quand d’autres se demandent si ce mode de vie n’est pas fini. La réalité est bien sûr plus compliquée que ça. Amédée fait le point.

Des digital nomads d’un nouveau genre

Tout d’abord, il faut dire que l’impact du Covid sur le digital nomadisme est complexe et plus nuancé qu’on ne pourrait le croire. D’un côté, certaines entreprises qui se sont construites sur le créneau ont beaucoup souffert, comme Remote Year qui a licencié plus de la moitié de ses salariés. De l’autre, il y a des boîtes comme Outsite, jeune réseau de lieux de workation dont on vous parlait ici, qui a ouvert pas moins de quatre nouvelles résidences en 2020, et a dû nouer des partenariats avec des hôtels locaux dans cinq autres destinations pour faire face à l’afflux de demandes, comme le raconte sa chargée de contenus Rebecca Males chez Marker.

Cette disparité peut être expliquée de plusieurs manières. Tout d’abord, la crise dans laquelle nous sommes depuis plus d’un an a permis à toute une nouvelle catégorie de travailleurs de découvrir le travail à distance. Alors qu’auparavant, le digital nomadisme n’était accessible qu’aux freelances, désormais un certain nombre de salariés peuvent eux aussi travailler de n’importe où dans le monde. C’est ce que montrait une vidéo publiée par Brut en mars 2021, intitulée “Ces télétravailleurs qui ont quitté la France à cause du Covid”, qui compilait les témoignages de jeunes salariés découvrant les joies du digital nomadisme.

Les experts du secteur veulent d’ailleurs croire que cette tendance survivra à la crise. “La révolution du télétravail induite par la pandémie a servi d’expérience à beaucoup d’entreprises – et nombreuses sont celles qui ne retourneront pas au bureau”, explique ainsi à Fast Company Sahin Boydas, fondateur et CEO de RemoteTeam.com. Plausible, quand on sait que de plus en plus d’entreprises décident de se passer de bureaux, comme le racontaient Les Échos à la sortie du premier confinement. D’après une étude récente de Booking.com, d’ailleurs, 37% des personnes qui réservent un voyage sont aussi à la recherche d’un endroit où ils pourront travailler. “C’est une différence fondamentale”, estime le CEO de Outpost David Abraham dans Marker, “et il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui répondent à ce besoin. Nous savons que c’est là que se fera notre rebond.”

Un réancrage local

L’autre grande tendance du digital nomadisme à l’heure du Covid, c’est une relative relocalisation des voyages : Outsite s’est très bien sorti de la crise grâce à sa présence dans des pays proches des États-Unis, comme le Costa Rica et le Mexique, où les digital workers américains se sont rués en masse. Remote Year, qui propose un modèle de voyages en groupe difficile à maintenir en temps de Covid, s’est recentré sur des destinations domestiques en créant des “Remote Villages” en Louisiane et Caroline du Sud.

De manière plus globale, si le digital nomadisme survit, ce sera probablement grâce au slow travel : des distances moins longues que l’on peut parcourir autrement qu’en avion, des voyages moins fréquents, un ancrage plus important dans les lieux de passage. De fait, les digital nomades qui ont décidé de ne pas rentrer se confiner chez eux sont massivement restés là où ils étaient : ils n’ont pas continué à voyager mais se sont (provisoirement) établis ailleurs. C’est ce que racontent plusieurs personnes à Fast Company, dont Aliénor Salmon qui s’est rendu compte qu’elle ne pouvait plus vivre exclusivement dans sa valise. Marker relève que les personnes qui ont décidé de passer la crise “chez” Outsite ou Outpost se sont mis à traiter la résidence comme leur unique bulle de socialisation – c’est-à-dire un peu comme la maison.

Un wanderlust au ralenti

Si tous les acteurs du secteur veulent croire à un boom du digital nomadisme après la crise, ce mode de vie sera donc paradoxalement plus ancré. Lindsay Tigar, la journaliste de Fast Company, qui a pris 69 avions et dormi dans 115 lits en 15 mois avant le Covid, n’imagine plus voyager aussi vite, souvent et loin. La question de la responsabilité individuelle face à la crise sanitaire et environnementale va aussi, on l’imagine, se pérenniser : sera-t-il raisonnable et souhaitable de recommencer à voyager comme avant ? D’autant que, comme le note Lindsay Tigar, l’accès aux soins et la couverture santé risquent de devenir des facteurs importants dans le choix des destinations – ne serait-ce que pour ne pas engorger les systèmes de santé des pays qui nous accueillent.

Par ailleurs, gageons que si le digital nomadisme post-pandémie est aussi soutenu par des salariés en télétravail, ceux-ci auront probablement besoin de voyager moins loin et moins longtemps, et de pouvoir rentrer à la maison-mère facilement.

Quoi qu’il arrive, pour les destinations touristiques ou prisées des digital nomades, la reprise sera une question de survie : La Barbade, par exemple, dont l’économie dépend à 12% du tourisme, propose depuis juillet 2020 aux télétravailleurs (qui ont un emploi, donc) un visa de douze mois, dans l’espoir d’attirer de nouveau les voyageurs.

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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