Pluriactivité : les profils des freelances cumulards8 minutes de lecture

Être freelance est souvent synonyme d’être slasher : nombreux sont ceux qui cumulent des activités différentes, avec des statuts différents, parfois même dans des domaines très différents. Amédée dresse la typologie des freelances adeptes de la pluriactivité.

Le freelance aux multiples talents

Le cas de figure le plus fréquent, c’est le freelance qui exerce des variations de la même compétence : un graphiste par ailleurs illustrateur, une journaliste par ailleurs rédactrice de contenus. Mais certains, comme Aurélie, jouent sur des tableaux très différents. Depuis 15 ans, elle est graphiste et directrice artistique. Et depuis un an, elle est également fleuriste. “Pendant des années, je regardais les sites de l’école de fleuristes de Paris secrètement, sans le dire à personne. Sans me dire que j’allais faire un deuxième métier.” Lors d’un apéro à l’espace de coworking Mutinerie, quand on lui demande ce qu’elle ferait si elle n’avait pas été graphiste, “fleuriste sort tout seul”. “Et puis un jour ma soeur m’a demandé quand est-ce que je faisais ma formation, et ça a fait boule de neige.” Aurélie trouve une formation en Angleterre et commence à faire des fleurs pour des mariages en 2017. 2018 est sa première année complète en tant que fleuriste et graphiste.

Aujourd’hui, sa principale épine est administrative : “avoir deux activités en indépendant, c’est le neuvième cercle de l’enfer. J’ai un statut d’entreprises individuelle en pluriactivité, mais administrativement c’est trop compliqué, je suis noyée sous les papiers. Pourtant ce n’est pas comme si la pluriactivité n’existait pas depuis longtemps.” Se pose aussi la question de l’équilibre entre ces deux métiers. En ce moment, Aurélie est un peu plus à fond sur les fleurs. Comme elle est fleuriste événementielle, elle se disait que ce serait saisonnier, avec tous les mariages en été. “Mais là je suis en train de faire les devis de l’année prochaine. Et puis le  graphisme c’est toute l’année, et c’est compliqué de continuer l’été parce que les fleurs c’est très intense, mais je ne peux pas fermer le graphisme six mois de l’année.” Comme beaucoup d’autres indépendants, elle va devoir apprendre à dire non et à prioriser.

Mais au total, le grand écart vaut le coup. “C’est une chance incroyable, je fais deux métiers que j’aime. Et la société commence à nous y autoriser.

Avant, on pensait qu’on allait passer toute sa vie dans la même boîte, ensuite qu’on allait faire le même métier toute sa vie, et maintenant on commence à apprendre qu’on peut avoir plusieurs métiers.”

Le freelance artistique

Émanation de la catégorie classique évoquée plus haut, celui qu’on appelle freelance artistique rajoute une troisième corde à son arc : en plus de l’activité “gagne-pain” et de l’activité plus créative, il a une pratique artistique. Permettez-moi de prendre mon propre cas en exemple.

Il y a quatre ans, j’ai quitté mon métier de journaliste à plein temps pour me consacrer à l’écriture de mon premier roman. Au bout de quelques mois, j’ai commencé à accepter des missions de rédaction pour des entreprises par l’intermédiaire de mon ancien employeur, Usbek & Rica, et de son agence de création de contenus. Et puis j’ai continué à écrire des articles journalistiques pour Usbek & Rica et pour quelques autres magazines, tout en élargissant progressivement mon réseau de clients. Aujourd’hui, je balance mon activité de rédactrice en micro-entreprise, d’où je tire la majorité de mes revenus, celle plus sporadique de journaliste pigiste, dans laquelle j’apprécie une plus grande liberté éditoriale, et l’écriture de fiction, qui donc ne me rapporte pas un rond.

En quatre ans, j’ai testé un peu toutes les configurations et les équilibres, j’ai rencontré mon lot de difficultés et suis récemment arrivée à une conclusion qui, a posteriori, me paraît évidente.

 

Les activités “gagne-pain” c’est bien, à condition qu’elles soient régulières
et intéressantes.

Quand on s’engage dans des missions vues comme purement alimentaires, qui prennent beaucoup de temps et d’énergie pour un résultat qui ne nous importe pas tellement, c’est difficile d’avoir de l’énergie pour des activités plus créatives (dans mon cas le journalisme de long format), et quasiment impossible pour la pratique artistique (j’ai passé des mois sans écrire un mot). Etre créatif, c’est-à-dire trouver des idées et les mettre en oeuvre, ça implique du temps de cerveau disponible et de la constance, de pouvoir en faire un peu tous les jours, et d’avoir un cerveau stimulé. Pour moi, le vrai déclic a été de refuser les grosses missions one-shot et de me concentrer sur des clients réguliers, pour des missions qui m’intéressent et m’apprennent des choses (c’est aussi ce que j’écrivais dans cet article sur l’équilibre vie professionnelle-vie privée quand on est freelance). J’ai alors été capable de travailler plus efficacement sur mon roman, qui est maintenant quasiment terminé, et même de lancer l’écriture du second. En fait, mon activité artistique est progressivement devenue un élément parmi d’autres de ma journée de travail, et c’est là que l’équilibre s’est débloqué.

Le freelance salarié

Dernier type de cumulard, le freelance salarié. Selon une étude menée en 2016 par le cabinet de conseil McKinsey auprès de 8 000 travailleurs indépendants aux États-Unis et en Europe, 56% des freelances exercent leur activité en complément de revenu. Certains parce qu’ils n’ont pas le choix (16% des personnes interrogés), d’autres par envie (40%).

Souvent, ceux-là sont en train de quitter le salariat. C’est ce qu’ont fait Quentin et Claire, qui sont en couple et ont décidé au même moment de quitter leurs postes pour monter chacun leur entreprise. Avant ça, ils ont passé plusieurs mois à travailler à côté de leur boulot,pour tâter le terrain, en espérant que ça marche”, dit Claire. Aujourd’hui, ils sont dans cette phase où la différence entre un indépendant et un entrepreneur est assez fine : ils travaillent seuls, chez eux, dans des cafés ou à la bibliothèque, et apprécient de pouvoir organiser leurs journées de travail comme ils le veulent. Certes, ils n’ont pas de clients, et pas encore de revenus : “sans le chômage, je ne pourrais pas faire ça”, dit Claire. “Pôle Emploi, c’est le plus grand incubateur de France”, appuie Quentin.

Florence, elle, a déjà expérimenté plusieurs de ces juxtapositions salariat/indépendance. Il y a quelques années, alors qu’elle travaille dans le marketing digital à Singapour, elle commence à lancer une activité d’illustratrice bénévole. “Et puis j’ai commencé à avoir des commandes, mais je ne me posais pas encore la question de me professionnaliser. Lorsque j’ai dû faire ma première facture, je suis allée demander l’aide d’une comptable.” Rentrée en France, elle prend un job de serveuse à mi-temps et met la priorité sur son activité artistique, suit des cours d’illustration numérique, s’inscrit à la Maison des artistes. Aujourd’hui, elle est repartie pour un travail à temps plein au Sénégal, comme chargée de communication d’une association humanitaire. “Je nourrissais un projet de carnets illustrés pour des ONG, donc je démarchais des ONG et en même temps je regardais leurs offres d’emplois en com. J’ai cette expertise-là aussi, donc j’essaie de tenir les deux ensemble, si jamais mon activité créative ne marche pas.” Florence cherche à s’“inventer un nouvel espace professionnel” qui associe ses expertises et ses envies : 

Comme autodidacte, tu ne te sens jamais légitime. Je me dis que ma valeur ajoutée, c’est mon côté couteau suisse.”

Dauphine, infirmière à Paris depuis cinq ans, est elle au tout début d’une trajectoire de salariée freelance — et d’un grand écart professionnel. Elle voudrait travailler dans la promotion du terroir français, aller à la rencontre des gens qui le produisent et les mettre en lien avec les citadins. Il y quelques semaines, elle a eu l’opportunité d’organiser à Paris une vente de gin fabriqué dans la Somme. Un peu comme pour Aurélie, c’est venu progressivement. “Ça fait deux ans que je me suis découvert un intérêt pour les produits du terroir, quelques mois que je me dis que ça m’amuserait de travailler dans ce domaine, et quelques semaines que j’ai mis les mots dessus.” Elle ne sait pas encore quand et pour quel métier exactement elle quittera son poste d’infirmière, mais elle se laisse le temps de voir. “De fait, aujourd’hui je suis indépendante et salariée pendant ma période de transition. Je peux faire des missions ponctuelles tant que je n’ai pas des bases solides. Je ne suis pas pressée : quand j’aurai trouvé le bon truc, je le saurai et je me lancerai.”

Image à la une : l'”homme-orchestre” Gladson Peter photographié par Amit Chakravarty pour The Indian Express.

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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