L’accomplissement de soi en freelance, c’est quoi ?8 minutes de lecture

L’accomplissement de soi, c’est un terme à la mode, mais c’est aussi un besoin humain fondamental. Et qui de mieux placé que les freelances pour le savoir ?

Si vous avez cherché des témoignages sur Internet quand vous avez décidé de vous lancer en freelance, vous avez sûrement lu qu’être indépendant vous donnerait une vie indépendante, joyeuse, excitante et ferait revenir l’être aimé. En bref, que c’était le plus sûr chemin vers l’accomplissement de soi. En effet, le storytelling qui prédomine quand on parle des freelances, c’est celui d’anciens salariés au bord du burn-out qui ont tout plaqué pour vivre leur meilleure vie en suivant enfin leur vocation.

Cette image d’Épinal se heurte au principe de réalité, dont on a déjà parlé ici. Mais au-delà des clichés un peu béats sur la vie de freelance, la question de l’accomplissement de soi mérite d’être posée. Qu’est-ce que s’accomplir, quand on est free ? Et quelle différence avec les autres travailleurs ?

L’accomplissement de soi, au sommet de la pyramide des besoins

L’accomplissement de soi (self-actualisation, en anglais) est un concept développé dans les années 1940 par le psychologue Abraham Maslow. Dans son article « A Theory of Human Motivation », paru en 1943, Maslow identifie et hiérarchise les besoins humains en cinq catégories, souvent présentées sous forme de pyramide. À la base, les besoins physiologiques (se nourrir, s’abriter) ; puis la sécurité ; puis l’appartenance à un groupe ; puis l’estime, de soi et des autres. Et, tout en haut de la pyramide, l’accomplissement de soi, que Maslow définit ainsi : « Il se réfère au désir d’accomplissement de la personne, et précisément à sa propension à s’accomplir dans ce qu’il est potentiellement. »

Cette réalisation de son potentiel s’incarne différemment selon les gens ; elle peut « prendre la forme du désir d’être une mère idéale, pour d’autres elle peut s’exprimer dans la performance athlétique, pour d’autres encore dans la peinture ou les inventions. » En bref, l’accomplissement de soi est pour tous une des composantes de la recherche du bonheur — mais comme nous avons tous un potentiel différent, ce que s’accomplir signifie varie d’une personne à l’autre.

(Notons ici que la pyramide des besoins de Maslow a depuis été amendée par Maslow lui-même et remise en cause par la communauté scientifique, notamment parce que la satisfaction de ces besoins n’est pas linéaire : on peut remplir un besoin de l’étage 4 sans avoir coché toutes les cases des étages précédents, par exemple.)

L’accomplissement de soi en free : la liberté

Revenons maintenant à nos bienheureux freelances : à une époque comme la nôtre, obsédée par l’accomplissement de soi, les indépendants ne dérogent pas à la règle. Même, ils sont censés être les parfaits porte-drapeaux de la réussite individuelle, de tout ce qui peut nous arriver de bien, professionnellement et personnellement, quand on décide de vivre en accord avec son potentiel.

Certains se sont donc essayés à adapter la pyramide de Maslow à la vie d’indépendant. Et ils ne mettent pas tous la même chose tout en haut. Pour Vincent Bransiecq chez Skuadron, par exemple, l’accomplissement de soi tient à la liberté géographique, l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle et la possibilité de se lancer des défis personnels. Des critères qui correspondent en effet beaucoup aux raisons mises en avant dans le choix de la vie de freelance : la liberté, l’autonomie, la possibilité de gouverner sa propre vie.

Mais pour cette raison, on pourrait arguer que ces besoins sont assez fondamentaux et ne devraient pas être le dernier étage de la fusée. C’est particulièrement vrai de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, grand oublié des freelances soumis à l’absence de congés payés. Cet équilibre devrait justement être une donnée qu’on prend en compte dès le début de sa carrière, plutôt qu’un bonus ou une pensée après coup.

Et les valeurs, alors ?

Pour Brice Schwartz, dont la pyramide du freelance est un peu différente, l’accomplissement de soi est déjà plus personnel et philosophique : c’est « l’alignement entre nos valeurs et notre activité. C’est créer plutôt que reproduire, devenir fier de soi et avoir un impact. » Cette idée des valeurs reflète assez bien les impératifs éthiques de notre époque et les spécificités du travail indépendant.

Les freelances sont en effet des sortes de mercenaires, a priori « employables » par n’importe quelle entreprise. Dans ce cadre, la joie et le sentiment d’accomplissement que nous tirons de notre activité peuvent tenir aux réponses à cette question : à quel monde voulons-nous contribuer ? Qu’est-ce que nous avons envie de participer à construire ? On rejoint ici les questions que nous nous posions sur le client idéal : si on est super écolo, on aura peut-être du mal à travailler pour Total ; si on est particulièrement attaché à l’éducation, on cherchera des missions dans lesquelles la production et transmission des savoirs sont centrales.

Compétences vs. talents

Mais l’accomplissement de soi, c’est encore un peu plus profond que la qualité de vie et l’alignement avec les valeurs. Ou plutôt, plus intime. Maslow parle du potentiel, qui est unique à chacun et chacune d’entre nous. Cette idée peut faire penser à celle du « talent », un concept qu’emploie Wake Up pour guider les personnes en quête de reconversion professionnelle.

L’idée, c’est de ne plus envisager sa carrière sous l’angle de ses compétences (parce qu’une compétence peut toujours être acquise), mais sous l’angle de ses talents naturels — c’est-à-dire de sa personnalité.

S’accomplir, ça peut vouloir dire devenir peintre, parent ou athlète, comme le dit Maslow. Mais cela peut être beaucoup moins étroit, comme savoir qu’on a besoin d’un métier dans lequel on peut aider les gens à se sentir bien, ou mettre en oeuvre nos capacités stratégiques ou d’organisation, ou encore résoudre des problèmes. À cette aune, accomplir son potentiel, ça voudrait dire travailler en accord avec ses talents : non pas ce que l’on sait faire, mais ce qui nous vient naturellement.

Dans mon cas, ma compétence principale est d’écrire, mais je n’ai pas systématiquement le sentiment de m’accomplir quand j’écris. Cette joie-là vient quand travailler m’apprend des choses et me donne l’occasion de développer des idées, puis de transmettre tout cela dans un texte, parce que j’aime naturellement comprendre et expliquer.

Évidemment, cette quête de l’accomplissement de soi ne vaut pas que pour les freelances, mais pour tous les travailleurs.

La particularité d’être indépendant, alors, tient peut-être à sa solitude intrinsèque : d’un côté, en étant seul maître à bord, on est plus en mesure de choisir des missions qui nous permettent de nous accomplir, et notre raison d’être ne se heurte pas à celle de l’entreprise qui nous salarierait. De l’autre, on doit faire l’effort de se connaître particulièrement bien, parce qu’on ne peut pas compter sur un environnement de travail (des collègues, un manager) qui nous encourage à identifier et développer notre potentiel. Et, bien sûr, on doit faire tout cela en gardant l’équilibre financier qui constitue la base de notre pyramide, et qui pour les free est plus fluctuant que pour les autres.

Pour un freelance, s’accomplir est un numéro de balancier permanent entre la survie de l’activité et sa raison d’être la plus profonde. Mais c’est peut-être aussi dans ce cadre qu’on a le plus de chances d’atteindre l’accomplissement de soi.

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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