L’entrepreneuriat subi7 minutes de lecture

Dans le futur, il n y aura plus d’employés. C’est le titre d’un ancien article de Techcrunch qui montre bien l’ampleur des mutations du monde du travail.

Selon une étude du cabinet McKinsey, quasiment 100 millions d’Européens pratiquent de près ou de loin une forme de travail indépendant, que celui-ci soit à temps plein ou à temps partiel, qu’il soit choisi ou subi.

Et quand ils travaillent comme salariés, les actifs de 25 ans ne restent en moyenne que 3 ans dans une entreprise tandis que ceux de 55 ans y passent 10 ans. Les salariés eux-mêmes se transforment de plus en plus en contractants de court terme…

La fin du salariat ?

Que se passe-t-il ? quelles forces sont à l’œuvre ?

Le monde du travail et plus généralement, les manières de produire de la valeur sont en train de connaître une révolution sans précédent dans l’histoire.

Le travail ne rime plus avec un lieu, ni une équipe. Internet rend le travail de plus en plus nomade et permet d’abolir virtuellement les distances.

Le travail s’organise désormais par agrégation ponctuelle de compétences sans limitation de distance.

Les entreprises ont historiquement joué un rôle structurant, stabilisateur et formateur. Elles se sont attachées à former leurs employés, à leur fournir les outils et à leur prodiguer une stabilité financière. Elles ont permis de se projeter sur le long terme, condition indispensable à tout progrès réel. Bien sûr, tout cela allait avec d’autres défauts et des conditions de travail pas toujours épanouissantes.

Au milieu de ces chambardements, comment se composera la force productive de demain ? A quoi ressemblera bientôt le monde du travail ? Richard Florida, et d’autres après lui voient l’avenir comme cela :

  • Une minorité de « créatifs » (entrepreneurs, employés de startup, contractants indépendants d’élite)
  • Un socle encore pérenne d’employés indispensables (grandes entreprises traditionnelles, personnel industriel, fonction publique)
  • Une majorité de « contractants indépendants », de freelances externalisés et souvent précaires.

Les évolutions récentes ne leur donnent pas tort alors projetons-nous dès maintenant dans ce nouveau monde, essayons d’en comprendre les nouvelles règles et de prévoir aussi bien les améliorations qu’il pourra apporter que les dangers qui pointent leur nez.

Demain tout ira mieux tu verras

Il est évident que le salariat est amené à perdre son rang de modèle exclusif d’organisation du travail, d’espace principal de sociabilisation et d’élément structurant de la société.

Mais si l’on peut se réjouir de voir s’effacer les dérives de l’ancien monde du travail, il faut regarder au-delà du mythe bon marché qui voudrait ne voir dans ces changements qu’un progrès pour la liberté et la dignité humaine.

Oui, ce nouveau modèle d’organisation économique est plein de promesses mais la naïveté feinte ou sincère qui habille les discours des « disrupteurs » et des prophètes technophiles de l’économie nouvelle ne pourra pas masquer les dangers qui pèsent sur les conditions de vie des travailleurs de demain. 

Demain tout ira mieux tu verras … Mais demain ne devient jamais mieux par magie.

La fin annoncée du salariat, l’émergence d’une société d’indépendants s’appuyant sur les outils numériques, ne signifierait évidemment pas la fin de l’exploitation, et la liberté virtuelle des contractants ne veut pas dire que chacun sera en fait libre de mener sa vie comme il l’entend.

Dans un monde qui n’embauche plus, une partie des indépendants ne le sont pas devenu par choix. A bien des égards, le prestataire est même plus dépendant du client que le salarié ne l’est de l’employeur, surtout si le client est gros.

Les freelances sont des aventuriers certes, mais n’oublions pas que l’immense majorité des aventuriers dans l’histoire ont été poussés par des circonstances difficiles.

Une partie significative des freelances n’a pas la vie facile. Théoriquement ils peuvent choisir leur horaires, théoriquement ils peuvent choisir leurs missions, théoriquement ils s’organisent comme ils veulent… Théoriquement.

En pratique, les freelances se retrouvent souvent seuls, travaillant chez eux dans de mauvaises conditions matérielles et sociales. En pratique, la pression financière les contraint parfois à accepter tout ce qui se présente et les attentes des clients limitent leur capacité réelle à choisir leur emploi du temps. Les conséquences sont le stress, le manque de temps disponible pour se former, l’isolement et l’impossibilité de se projeter à long terme.

Dans le modèle encore dominant, la protection des salariés, la reconnaissance des droits et les institutions protectrices qui forment le système social d’aujourd’hui sont le fruit de luttes et de beaucoup d’efforts. Ils résultent d’une laborieuse construction politique résultant d’arbitrages et de rapports de force.

Avant la révolution industrielle, la protection sociale dans un monde où les travailleurs indépendants étaient majoritaires (paysans, artisans …) était assurée par d’autres institutions ; les corporations de métiers, par l’église et par une solidarité organique très puissante au sein des familles et des villages. Elles étaient déjà des amortisseurs contre la violence économique incontrôlée qui a toujours existé et qui a besoin d’être encadrée.

Les nouvelles solidarités

Employé, employeur, actif, retraité, étudiant, chômeurs, CDI, CDD, CSP+, OS … Tout le système social est basé sur votre statut professionnel; quelle est votre fonction et je vous dirais comment vous aider. Mais ces catégories perdent peu à peu de leur sens.

L’homme-fonction du XXème siècle devient au XXIème un homme-projets, tirant ses revenus d’activités diverses et changeantes; contrats courts, revenus complémentaires (AirBnB, Uber, Drivy, Youtuber, artisan sur Etsy …) avec des périodes sans revenu.

Entre le monde salarié et le monde des travailleurs indépendants, entre le travail traditionnel et l’économie « barbare » se crée un système social à deux vitesses.

Les premiers aux statuts reconnus se voient attaqués économiquement mais sont défendus socialement, les seconds, sortis des fourrés, sont conquérants et échappent aux aides comme aux régulations.

Finalement, tout le monde est perdant. Uber et les taxis s’écharpent, AirBnB et les hôtels se castagnent et l’État, arbitre impuissant au milieu des deux mondes, assiste perplexe à ces échauffourées.

Un modèle social en remplace un autre mais la nécessité de l’union et de la solidarité persiste.

Au moment de la révolution industrielle, le monde du salariat était barbare car il rompait toutes les digues sociales protectrices (mais aussi parfois sclérosantes) sans que l’on puisse encore en créer de nouvelles. Le nouveau monde du travail est également barbare … Il devra nécessairement être civilisé.

Dans les espaces de coworking, les makerspaces et autres tiers-lieux, les indépendants de la nouvelle économie s’unissent, se connectent, se forment et s’entraident. Ils inventent une nouvelle civilisation du travail.

Les freelances inventent leurs outils, échangent sur des forums, créent du bien commun à travers l’open source, se réunissent entre contractants pour peser sur les plateformes dont ils dépendent.

On voit naître des initiatives comme Independants.co, syndicat d’un nouveau genre et véritable porte-voix pour les indépendants de France.

Puisque le statut ne veut plus dire grand-chose, il faut désormais garantir les aides et protections sociales au niveau de l’individu au-delà de son statut professionnel. Il est nécessaire de créer des protections liées à la personne indépendamment de sa « fonction », et aussi des devoirs. La mise en place du CPF (Compte Personnel de Formation) va dans ce sens.

Il serait également utile de renforcer les recours des petits contractants face aux gros contracteurs en reconnaissant la responsabilité des plateformes et des rapports de force entre des partenaires qui n’entretiennent pas nécessairement un lien hiérarchique de droit, mais un lien hiérarchique de fait. C’est ce qu’a réussi à faire Freelancer Union, à l’échelle de la ville de New York.

Enfin, il s’agit de retrouver une vision long terme, donner aux freelances la possibilité de sortir la tête de l’eau, de se projeter plus loin grâce à une plus grande stabilité financière et de se former tout au long de son parcours professionnel.

William van den Broek
Rédacteur indépendant

Cofondateur de Mutinerie, je me passionne pour les écosystèmes, qu’ils s’agissent de communautés humaines, animales ou végétales. À côté de mes activités d’écriture, je donne régulièrement des formations d’introduction à la permaculture.

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