Les travailleurs des plateformes, pas si indépendants5 minutes de lecture

Les travailleurs indépendants “ubérisés”, c’est-à-dire qui travaillent pour des plateformes, font en réalité l’objet d’une dépendance économique qui les rend particulièrement vulnérables.

C’est quoi, un indépendant ?

Un travailleur indépendant, c’est quelqu’un qui travaille à son compte, c’est-à-dire qui n’a pas de patron. En effet, juridiquement, c’est l’existence ou non d’un lien de subordination qui fonde la différence entre indépendant et salarié, explique le site Legalstart.fr. “Le travailleur indépendant n’est pas subordonné à un supérieur hiérarchique, c’est-à-dire qu’il n’exécute pas un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner tout manquement constaté. A contrario, le salarié est subordonné à son employeur.” L’autonomie étant le seul critère, “être indépendant” recouvre une vaste réalité de profils et d’activités. Pour Legalstart.fr, il existe quatre grandes catégories de travailleurs indépendants : “patrons de la construction, de l’industrie ou des transports ; exploitants agricoles ; patrons dans le commerce et les services de proximité ; professionnels libéraux et assimilés.”

Les travailleurs des plateformes, un cas à part

Ce qui semble laisser de côté les travailleurs des plateformes : des prestataires de services mis en relation avec les clients par l’intermédiaire de sites comme Uber ou Deliveroo, et qui seraient environ 200 000 en France. Il faut dire qu’ils ne sont pas toujours indépendants : comme l’explique Le Point, “contrairement à une idée reçue, tous les coursiers, VTC ou utilisateurs des autres plateformes d’emploi (jobbing, micro-tâches, freelances, etc.) ne sont pas des indépendants. Certains sont salariés d’un employeur tiers, autre que la plateforme, donc couverts par le régime général de sécurité sociale. Et même parmi les indépendants, selon le statut de leur société, une partie relève du régime général.” Il n’en reste pas moins que la grande majorité sont des indépendants (artisans, commerçants ou professions libérales) déclarés comme micro-entrepreneurs. Et que cette indépendance, par rapport à celle des autres freelances, comporte quelques particularités.

Reconnaître la dépendance économique

Selon le Rapport sur les plateformes collaboratives et la protection sociale de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), rendu public en octobre 2016, ces travailleurs indépendants sont en réalité “économiquement dépendants”. Ils sont en effet exposés à “un risque de perte d’emploi qui s’apparente à celui des salariés, en ce qu’il peut être largement exogène à leur activité”. Comme nous l’expliquons dans notre article sur la protection sociale des travailleurs des plateformes, si les règles de la plateforme changent, si elle cesse d’exister ou si la performance des travailleurs baisse, ils peuvent voir leurs revenus se tarir du jour au lendemain. Or, en tant que micro-entrepreneurs, ils n’ont pas le droit à l’assurance-chômage. Cette situation particulière  de dépendance totale vis-à-vis des plateformes pour trouver du travail et d’absence tout aussi complète de filet de sécurité si la plateforme se dérobe  fait de ces travailleurs des indépendants pas tout à fait comme les autres. D’après Eurofund, ces travailleurs “vulnérables” représentent 17 % des indépendants dans l’Union européenne.

L’épineux sujet de la subordination

Le gouvernement français, dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, entendait renforcer la protection sociale de ces travailleurs. Le résultat, dans la loi finalement adoptée le 1er août, est que les plateformes ont désormais la possibilité d’établir une charte qui définit les droits et obligations des uns et des autres. En échange, la loi prévoit que cette charte ne peut pas être utilisée pour prouver l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plate-forme et les travailleurs”. En effet, cette tentative de requalification en contrat de travail salarié est souvent au coeur des contentieux entre travailleurs et plateformes.  La crainte de se voir un jour considérée comme un employeur plus que comme un donneur d’ordre entretient la frilosité des plateformes quand il s’agit de protéger ceux qui travaillent pour elles.

Pour Nicolas Amar, co-auteur du rapport de l’IGAS, cette question de la subordination ne peut réellement se traiter qu’aux niveaux européen et international : “nous préconisons l’adoption d’un statut européen des plateformes d’emploi afin de déterminer ce que les états peuvent imposer à la relation entre prestataire et donneur d’ordre dans le cadre de l’économie de plateforme, car aujourd’hui il y a un flou sur le droit qui s’applique, nous explique-t-il dans une interview. Faut-il appliquer le droit du travail ou le droit commercial, comme le soutiennent les plateformes qui se considèrent comme des prestataires de service et non comme des donneurs d’ordre ou des employeurs ? Que faire en cas de conflit entre différents droit nationaux dans des situations où le donneur d’ordre, le consommateur et le prestataire se trouvent chacun dans un pays différent ?” En attendant, les travailleurs de plateformes français sont un peu mieux protégés, mais ils n’ont toujours pas le droit à l’assurance chômage.

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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