L’isolement connecté6 minutes de lecture

Le grand flux numérique nous entraîne tous dans son courant, charriant avec nous des morceaux épars d’informations et des bribes de vies humaines.

En moyenne, on regarde son smartphone 150 fois par jour ! 150 fois par jour, et souvent dès qu’on trouve un petit moment de solitude, on ouvre les vannes de nos données. Lorsque l’on regarde son téléphone, on entre dans une nouvelle bulle, seuls mais relié à tout et à tout le monde.

Entre solitude et sociabilité

Entre la solitude et la vie sociale, s’est ouverte une troisième voie ; l’isolement connecté.

La solitude prend un sens nouveau, ou plutôt, ne rime plus autant avec l’isolement. La nature de la solitude change. Elle rimait avant avec ennui, lecture et méditation, elle évoque aujourd’hui plutôt les heures molles sur Internet passées à zoner entre Facebook, Twitter et Youtube… On peut parcourir le monde en continuant à travailler, on peut parler à ses amis depuis n’importe où.

L’isolement connecté est un état bizarre que l’on pourrait tenter de décrire :

Partager ses expériences

Avant Internet, être seul en voyage ça voulait dire renoncer à avoir des témoins de ses aventures. L’expérience était totalement introspective et c’est seulement, une fois rentré, une fois la pellicule photo développée que l’on pouvait tenter de partager en un récit son expérience de plusieurs semaines.

Mais ce que l’on échange sur Internet n’est pas un récit, ni même un carnet de voyage. Internet réagit directement au contenu qu’on lui apporte et ses réactions modifient ensuite notre comportement de solitaire. Une sorte de surmoi numérique se créé autour de nous dans la solitude et nous pousse à témoigner sur le vif, à coup de photos, calls et commentaires de ce qui se présente à nous.

Immergé, mais pas trop

La coupure sociale est moins nette pour l’isolé-connecté. Le fait de pouvoir suivre, presque en temps réel le rythme du monde et la vie de ses proches facilite les choses, mais rend plus légère l’immersion sur place. Le rapport à l’espace est modifié, certes, on est physiquement quelque part, mais on n’est plus obligé d’y être totalement et dans sa poche, on sait qu’on peut trouver instantanément les rivages familiers de notre environnement social numérique.

Miroir déformant

« In real life », on ne transforme pas une mine défaite en smiley fringuant alors qu’on sort d’une journée affreuse, sur Internet si ! Les relations des isolés connectés sont basées sur l’apport volontaire de données et sur la facilité de ne pas tout montrer. On en est bien sûr conscient, mais cela n’impacte pas moins la sociabilité étrange qui se développe en ligne.

L’isolement nécessaire

Loin de séparer les hommes, comme on aurait pu le craindre, il y a encore quelques années, les technologies numériques les décloisonnent. La solitude subie peut être fortement atténuée par ce nouveau type de relation. En revanche, la solitude choisie devient de l’autre côté plus difficile à trouver. Les cloisons sont utiles et même indispensables à l’équilibre des hommes.

Être seul face à soi-même est une chance, une respiration précieuse qui fait prendre conscience de soi et des autres.

Il n’y a pas si longtemps, ces moments de solitude se créaient automatiquement, en voyage, chez soi ou même au bureau. Ils n’étaient pas recherchés, mais survenaient forcément.

Mais, depuis l’avènement du Grand Flux Social, ces moments de « solitudes thérapeutiques » deviennent de plus en plus le résultat d’une recherche active. La ressource abondante est devenue rare ; il ne suffit plus de s’asseoir dans un train pour trouver à coup sûr une petite bulle de solitude, il faut activement se dire « non je ne vais pas regarder mes mails, ni suivre les news, je vais plutôt regarder les vaches en pensant à des choses vagues »

Les changements les plus profonds passent souvent inaperçus parce qu’ils sont lents, diffus et qu’ils touchent en même temps tous les aspects de la vie, mais cette sociabilité nouvelle modifie rien de moins que notre rapport à l’espace, au temps et aux autres !


Photo de couverture : Stefan Spassov

Photo #2 : Camilo Jimenez

William van den Broek
Rédacteur indépendant

Cofondateur de Mutinerie, je me passionne pour les écosystèmes, qu’ils s’agissent de communautés humaines, animales ou végétales. À côté de mes activités d’écriture, je donne régulièrement des formations d’introduction à la permaculture.

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