Le monde d’après : Faut-il s’attendre à un bond du travail indépendant ?13 minutes de lecture

La crise du Covid-19 ne fait que commencer. Bien malin celui ou celle qui sait comment elle va finir, et quels seront ses effets à long terme. Ce qui n’empêche pas de réfléchir. Dans cet article, je me suis livrée à un petit exercice de prospective : et si le “monde d’après” se caractérisait par un boom du travail indépendant ?

La crise économique, propice au travail indépendant

Le travail indépendant pour éviter le chômage

La crise du Covid-19 a déjà commencé, et elle fait mal.

Malgré les aides aux entreprises et le recours possible au chômage partiel, des entreprises ferment déjà leurs portes, ou ont recours au licenciement économique pour limiter la casse. 

Ainsi, d’après La Tribune, entre le 29 mars et le 4 avril, plus de 104.860 demandes d’inscriptions de demandeurs d’emploi ont été recensées, soit une hausse de 7,3% par rapport à la même période l’année dernière.

On ne connaît pas encore le nombre d’entreprises qui cesseront leur activité en raison de cette crise, mais le bilan risque d’être très lourd.

Ainsi, de nombreux salariés vont se retrouver sur le carreau, dans une situation économique morose où le marché de l’emploi sera en berne.

La solution, pour retrouver une activité ou compléter ses indemnités chômage ? Le travail indépendant, bien sûr.

Les mieux formés, les cadres, se tourneront vers le freelancing, que ce soit comme consultants indépendants, développeurs, designers, communicants ou architectes. Ce sera d’autant plus vrai pour les salariés expérimentés, qui subissent une double peine : ce sont les mieux payés, et donc les premiers à être licenciés ; et comme ils sont plus chers, les entreprises rechignent à les recruter. 

Pour cette raison, ils risquent d’être nombreux à venir grossir les rangs des freelances, qui sont déjà près d’1 million en France (selon une étude Eurostat relayée par Malt).

Mais le recours au travail indépendant n’est pas l’apanage des cadres, bien au contraire.

Les salariés les moins qualifiés et les plus précaires seront les premières victimes de cette crise. Et ils risquent de se tourner en masse vers de petits boulots tout aussi précaires, accessibles avec un statut d’auto entrepreneur : livreur à vélo, chauffeur VTC, ramasseur de trottinette, petsitter… Les plateformes vont se frotter les mains.

Une aubaine pour les plateformes

On peut d’ailleurs anticiper l’ouverture de nouvelles plateformes faisant appel à des indépendants payés à la tâche, dans le sillage d’Uber ou Deliveroo.

En effet, la plupart des métiers peuvent être “uberisés” : aide à domicile, ouvrier agricole, manutentionnaire…

On peut déjà, avec Ibbü, devenir conseiller clientèle la nuit pour un site e-commerce, payé en moyenne 2 € pour chaque conversation par chat. L’imagination des startups n’a pas de limite quand il s’agit d’imaginer le futur du travail.

Le recours au freelancing : un remède à la crise pour les entreprises

On l’a vu, en jetant de nombreux salariés sur le marché de l’emploi, la crise économique qui ne fait que démarrer va mécaniquement augmenter le nombre de travailleurs indépendants.

Mais la crise va aussi créer un moment propice pour le travail indépendant, car la demande des entreprises en la matière risque d’exploser.

En effet, face à la récession, les entreprises vont devoir réduire leurs coûts, et elle seront plus frileuses pour embaucher, surtout les profils senior.

Quelques chiffres pour étayer mon propos : 

Une étude publiée par PwC en mars 2020 annonçait déjà la couleur : 53% des PDG s’attendaient déjà à une baisse de la croissance mondiale au cours de l’année prochaine.

Et 83% d’entre prévoyaient de diminuer leurs coûts pour faire face à la situation.

Le recours à des indépendants est une bonne manière de diminuer les coûts de main d’oeuvre et de rationaliser les dépenses, dans tous les secteurs et tous les métiers.

Le graphique ci-dessous (en anglais, désolée), issu d’une étude du Boston Consulting Group en 2019, montre que les freelancers ou “Gig workers” interviennent dans tous les secteurs de l’économie.

Ainsi, en réaction à la crise, le contexte va faire coïncider l’offre et la demande de travail indépendant. Il est possible que cela soit le déclencheur d’une véritable explosion du travail non salarié.

Le confinement : un déclencheur pour une nouvelle vie

Le confinement va créer des vocations d’indépendants

Ainsi, la crise est propice au développement du freelancing et des autres formes de travail indépendant. 

Mais attention : on ne devient pas indépendant sous la contrainte ! Etre indépendant, c’est aussi et surtout un choix de vie. Et le contexte actuel nous amène justement à interroger nos choix de vie.

On s’en rend tous compte : le confinement est particulièrement propice à l’introspection. Que l’on vive seul.e ou en famille, que l’on soit en télétravail ou au chômage partiel : les situations sont très diverses, bien sûr.

Mais sortis de la routine et du rythme effréné du quotidien, coincés entre nos murs, nous regardons notre vie différemment et nous nous prenons à rêver d’un “monde d’après” réellement différent, y compris sur le plan personnel.

Certains réalisent leur envie de quitter un “bullshit job” qui leur semble vide de sens, en envisageant, pourquoi pas, un bilan de compétence, une formation, avec à la clé, une reconversion professionnelle.

D’autres, coincés dans leur petit appartement, rêvent de quitter la grande ville pour avoir plus d’espace et pour se reconnecter avec la nature.

D’autres encore ne s’imaginent plus revenir à la routine “métro-boulot-dodo”, aux horaires de bureau imposés, et rêvent d’autonomie.

Ceux pour qui le confinement rime avec plus de temps pour eux, pour leur famille, souhaitent prolonger l’expérience.

Ceux qui ont télé-travaillé pour la première fois peuvent apprécier le fait d’avoir moins de contraintes, d’organiser leur journée à leur rythme. Ils se rendent compte que ce n’est pas si difficile, et se sentent maintenant capables de sauter le pas.

Toutes ces situations ont un dénominateur commun : elles amènent à rêver d’indépendance. 

Le confinement risque donc fort de créer des vocations.

Certains vont décider de créer leur petite entreprise de commerce ou d’artisanat.

D’autres vont continuer à exercer leur métier, mais cette fois-ci en freelance.

D’autres encore vont se rêver e-commerçants ou infopreneurs.

Peu importe le résultat, cette période risque fort d’agir comme un déclencheur vers un changement de vie ponctuel ou durable.

Le freelancing comme outil de distanciation sociale

Et si le freelancing était un moyen de prolonger le confinement pour les plus craintifs d’entre nous ?

Les effets de la distanciation sociale risquent d’être durables. Le coronavirus ne va peut-être pas disparaître de sitôt, et on ne sait pas encore si on retrouvera un jour notre vie d’avant, où l’on faisait chaque jour la bise aux 40 collègues de notre étage. 

Certains vont développer une phobie des relations sociales, et vouloir prolonger le confinement pour éviter la contamination. Noémie Aubron, dans sa newsletter La Mutante, imaginait un “monde d’après” peuplé d’Hikikomori (le surnom donné au Japon à ces jeunes qui se coupent du monde et ne sortent plus de chez eux).

Sans aller jusque là, peut-être que nous allons devoir nous habituer à cette situation, face à des pandémies qui seront de plus en plus fréquentes et ne disparaîtront pas du jour au lendemain. 

Dans ce contexte, ceux dont l’emploi salarié ne sera pas compatible avec le confinement prolongé choisiront peut-être le travail indépendant. Celui-ci leur permettra de continuer à travailler de chez eux et à limiter les contacts physiques.

Les limites du travail indépendant en période de crise

Travail indépendant rime avec insécurité

On peut donc s’attendre à un boom du travail indépendant dans le contexte de crise post Covid-19. En même temps, la situation actuelle peut amener à chercher plus de sécurité.

Les salariés, en télétravail ou chômage partiel, ne voient pas leur revenu diminuer drastiquement du jour au lendemain.

Ils n’ont pas à retourner ciel et terre pour solliciter des aides, des prêts, des délais de paiement ou des reports de cotisations.

Ceux qui continuent à toucher 90 à 100% de leur salaire sont conscients du fait que leur situation est très enviable face à des petits commerçants, des artisans, des indépendants qui sont touchés de plein fouet par la crise. Le filet de sécurité du salariat, en temps incertain, est rassurant.

Ainsi, tous ceux qui sont “bien au chaud” dans leur emploi salarié peuvent être tentés de remettre à plus tard leurs velléités d’indépendance, et à s’accrocher à leur CDI, coûte que coûte.

Pour une plus grande protection des indépendants

L’avenir nous dira si cette crise sonne le glas de l’âge d’or du salariat. Mais dans tous les cas, la dynamique était déjà en route avant le coronavirus. Et cela va nécessiter quelques ajustements.

Le dynamisme du travail indépendant est une tendance, certes timide encore, mais déjà bien installée dans tous les pays occidentaux. 

Au niveau des 28 pays de l’Union Européenne, on compte 9 433 000 freelances européens, soit une progression de 31% en 10 ans (Eurostat 2018). Ainsi, les théoriciens du “Futur du travail” prévoient déjà depuis plusieurs années que le règne du contrat de travail va prendre fin, peut-être au profit d’un “contrat d’ouvrage”, comme l’explique Laëtitia Vitaud dans son livre “Du labeur à l’ouvrage”.

Il faut rappeler que le salariat comme modèle dominant est une invention récente. Le salariat s’est développé au XIXème siècle avec l’exode rural et la révolution industrielle, pour se généraliser après la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, on pourrait très bien entrer dans un nouvel âge, et inventer de nouvelles manières concevoir le rapport entre individus et organisations. Tout reste à inventer en la matière.

Et cela n’ira pas sans une réflexion en profondeur sur la protection sociale des individus.

Aujourd’hui, on le sait bien, les plus protégés sont les détenteurs d’un contrat de travail : ils ont droit au chômage, à des indemnités journalières en cas de longue maladie, leur salaire est maintenu en cas de diminution brutale d’activité via le mécanisme du chômage partiel. Mutuelle complémentaire généreuse, semaines de congés payés en plus, prime d’intéressement, régime de prévoyance, arrêts pour enfants malades, retraite à 60 ans… Certaines entreprises et certaines conventions collectives offrent un cadre particulièrement attrayant. 

A l’inverse, la plupart des indépendants peinent à louer ou acheter un logement (faute de bulletin de salaire), et doivent cotiser à des assurances privées hors de prix pour être protégés en cas de longue maladie. 

Ils n’ont pas le droit au chômage (même si l’accès au chômage pour les indépendants était au programme d’Emmanuel Macron en 2017), et prennent, pour la plupart, peu de vacances. Leurs perspectives de retraite sont incertaines.

Ainsi, dans les conditions actuelles, la statut d’indépendant, qu’il soit auto entrepreneur, en EURL ou en SASU, reste un statut précaire – en dehors des situations les plus privilégiées. 

Si le travail indépendant doit se développer, il est urgent de réfléchir à une meilleure représentation et à une meilleure protection des indépendants. C’est le sens de la démarche d’independants.co, un néo-syndicat qui souhaite représenter tous les travailleurs indépendants et défendre leurs intérêts auprès des entreprises et des pouvoirs publics.

Cette réflexion est nécessaire, si l’on veut que le monde d’après soit un monde plus juste, plus équitable, où chacun peut s’épanouir dans son travail en tout sécurité, quel que soit son statut.

Photo de couverture : Isi Parente
Photo #2 Amelie & Niklas Ohlrogge

Claire Michard
Consultante et chef de projet freelance – Marketing et stratégie digitale

Freelance depuis 2017, je permets aux entreprises d’utiliser le digital pour développer et pérenniser leur activité. Stratégie marketing, rédaction de contenu, gestion de projet web, SEO ou CRM : j’interviens sur de nombreux sujets pour aider startups, entrepreneurs et indépendants à consolider leur business sereinement.

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