Les freelances et l’argent7 minutes de lecture

L’argent est un sujet particulier pour les freelances : s’ils fixent eux-mêmes leur rémunération, ils font aussi face à une grande irrégularité de revenus et à des obligations administratives plus compliquées que pour les salariés.

Comment définir le rapport du freelance à l’argent ? Comme n’importe quel travailleur, le freelance bosse pour gagner sa vie : pour lui comme pour tout le monde, l’argent est un besoin vital, obtenu en échange de sa force de travail. Mais il existe, bien sûr, des spécificités dans le rapport du freelance à l’argent. Les trois plus importantes sont la nature irrégulière de cette relation, le fait qu’elle doive être constamment renégociée, et la tension qui existe entre argent personnel et argent professionnel en l’absence de salaire. On décrypte ça pour vous.

Irrégularité du travail et irrégularité de revenus

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L’une des grandes sécurités de l’emploi salarié, c’est que le même salaire tombe chaque mois, quelle qu’ait été la charge de travail de ce mois-là (y compris lorsqu’on en a passé une partie en vacances). Si la stabilité des revenus est corrélée à un temps de travail, qui est clairement réglementé, elle ne dépend pas d’une stabilité dans les rythmes de travail — pour ceux qui sont passés par le salariat, on a tous connu des périodes de boulot effréné et d’autres plus calmes, pour le même salaire à la fin du mois.

Quand on devient freelance, la stabilité des revenus, au contraire, devient directement liée à la continuité du travail effectué. Pas de travail, pas de revenu. L’absence de congés payés et d’arrêts maladie signifie que dès qu’on arrête de bosser, l’argent se tarit.

À cette discontinuité s’ajoute l’irrégularité des missions : en particulier quand ils débutent et doivent encore construire leur réseau de clients, les freelances se trouvent confrontés à de très grandes variations dans leur charge de travail, et donc de leurs revenus. J’ai déjà écrit sur la quête de stabilité comme un Graal pour les free : avoir quelques clients réguliers et des projets qui s’étalent sur plusieurs mois, ça permet de voir venir, de pouvoir davantage choisir ses missions, et peut-être même de planifier des vacances. Le revers de la médaille, c’est que quand il devient stable, le travail est aussi absolument continu : une semaine pas travaillée est une semaine où on accumule du retard. Tenter d’avoir des revenus réguliers, c’est aussi se mettre dans une situation où on travaille en flux tendu… et où la perte d’un client peut avoir des conséquences difficiles.

L’argent, un sujet de renégociation constante

L’autre grande source d’irrégularité financière, que je sous-estimais absolument avant de me lancer en indépendante, c’est que les tarifs font l’objet de négociations et de réévaluations constantes. Internet (et Amédée) est riche de conseils sur la manière d’établir son TJM mais, une fois qu’on se retrouve face à un client et à son budget, l’argent se négocie toujours. Et quand on écrit, les variations peuvent être spectaculaires (je ne saurais me prononcer sur d’autres métiers) : il m’est arrivé qu’une agence me propose deux missions similaires pour deux clients différents, avec des tarifs qui variaient quasiment du simple au double. Souvent, un client qui propose une mission sur la durée sait aussi qu’il peut vous demander une ristourne sur vos tarifs, puisqu’il vous offre une certaine forme de stabilité.

Pour avoir un rapport sain à l’argent quand on est freelance, il est donc indispensable de développer des capacités de négociation — c’est-à-dire de connaître sa valeur, de ne pas avoir peur de demander la rémunération qu’on souhaite, et de décider ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas. C’est plus facile à dire qu’à faire, tant l’argent reste un sujet inconfortable et opaque. Quand on fait un métier créatif, on se retrouve aussi face à l’idée qu’une partie de ce travail est du plaisir, qu’on devrait donc accepter de faire pour peu (ou pas) d’argent. Et quand on écrit, puisque tout le monde sait écrire (contrairement au graphisme ou à la photo par exemple), il faut parfois se battre pour faire accepter l’idée qu’écrire est un métier et que l’expertise et l’expérience ont une valeur.

L’argent du freelance est-il le sien ?

Enfin, alors qu’un salarié peut disposer de son salaire comme il l’entend, il existe une tension entre l’argent personnel et l’argent professionnel des travailleurs indépendants. Cela dépend bien sûr des statuts choisis. Pour les micro-entrepreneurs, les deux se confondent : ce sont des personnes physiques et il n’y a pas de séparation juridique entre leur activité et leurs finances personnelles. En revanche, pour éviter la fraude et faciliter la gestion de la comptabilité, il existe une obligation légale depuis le 1er janvier 2015 d’avoir un compte en banque séparé pour son activité de micro-entrepreneur. Ce compte ne peut pas être utilisé pour des dépenses personnelles : cela signifie que le micro-entrepreneur peut se “rémunérer” en virant de l’argent sur son compte personnel, mais qu’il ne peut pas utiliser sa carte pro pour effectuer des dépenses du quotidien.

Dans le cas d’une entreprise individuelle, les patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur sont confondus. Pour les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu et les EURL/SARL, pas besoin de fiche de paie pour que l’entrepreneur se rémunère. En revanche, pour les SAS et SASU soumises à l’impôt sur les sociétés, le chef d’entreprise est considéré comme un salarié — avec fiche de paie et charges patronales et salariales à la clé. 

Sans entrer dans les considérations techniques de l’auto-rémunération, il convient donc de se souvenir que, pour un freelance, la question de l’argent est encore plus chargée administrativement que pour un salarié. D’où le conseil régulièrement donné de faire appel à un comptable, même en tout début d’activité.

En filigrane se dessine le fait que le freelance, face à l’argent comme face au développement de son activité, est le seul maître à bord. Une situation qui peut être solitaire ou effrayante, mais qui donne aussi, à qui apprend à la gérer, une autonomie précieuse.

Philothée Gaymard
Journaliste indépendante

Je suis journaliste et rédactrice freelance depuis tout début 2015, après quatre ans passés chez Usbek & Rica. J’écris sur le genre, l’innovation, le développement durable et parfois un mélange de tout ça.

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